Par Jean Christophe Bataille
Ben Bernanke, comme tous les décideurs américains, redoute la déflation plus que tout. Il sait toutefois qu'une évolution déflationniste ne peut s'enclencher qu'avec une nouvelle crise systémique financière. La vraie raison du Quantitative Easing 2 n'est pas une hypothétique relance économique mais bien la pérennité financière des banques et des états fédérés en faillite. Bernanke critiqué récemment sur l'inflation qu'il allait créer a répondu très laconiquement : "je sais ce que je fais". Je crois qu'effectivement il sait ce qu'il fait et qu'il ne peut pas faire autrement. Tant que la liquidité est maintenue, la déflation ne peut pas se développer. Il faut pour le comprendre analyser très précisément le deleveraging à l'oeuvre aux USA.
Les pressions déflationnistes observées là bas sont essentiellement liées à l'insolvabilité d'une importante partie des dettes. L'insolvabilité est en effet obligatoirement destructrice de monnaie. Pour appréhender cela, il faut savoir qu'un crédit n'est qu'une création de monnaie puisque le système des réserves fractionnaires permet aux banques de prêter de l'argent dont elles possèdent à peine le huitième, parfois beaucoup moins. Elles le font avec la bénédiction des banques centrales tout en restant tributaires des critères de Bâle. Les banques de crédits sont donc devenues de fait des agents de création monétaire auprès du client final en étant seuls juges de la solvabilité de celui-ci. Elles ont par conséquent la responsabilité de la qualité de la monnaie créée. Les ratios prudentiels ayant progressivement été modifiés dans le sens d'une moindre sécurité, la crise des subprimes a fait irruption dans la planète finance en entrainant les insolvabilités privées, commerciales ou territoriales que l'ont connait. Bon nombre de crédits contractés se sont révélés irrecouvrables et ont occasionné une destruction massive de dollars. Cette disparition d'un important contingent monétaire à créé mécaniquement une appréciation des dollars en circulation, faisant baisser le prix des actifs par effet de rareté. Cette chute de la masse monétaire a été largement potentialisée par le caractère massif des défauts de paiement. L'insolvabilité des dettes privées a fait baisser encore plus profondément la valeur des biens acquis du fait de la multiplication considérable des biens à vendre et a décuplé ainsi le phénomène de destruction monétaire. La mécanique déflationiste enclenchée, cette chute des prix pouvait alors remettre en cause la solvalbilité d'autres crédits montés en refinancement hypothécaire et créér un contexte dépressif lié à la contamination par l'insolvabilité de l'ensemble des acteurs économiques. Ce marasme de l'activité pouvait lui-même induire une nouvelle baisse des prix et des salaires rendant d'autres dettes irrecouvrables ...
La création monétaire mise en oeuvre par Bernanke pour contrer cette appréciation monétaire - déflation des prix - dépression économique a été, selon moi,
relativement efficace jusqu'à présent car elle a évité une crise majeure qui aurait probablement été plus grave que celle de 1930, et le système monétaire est encore debout. Mais elle crée de
l'inflation car elle ne repose sur aucune création de richesse. Elle pousse donc progressivement les
investisseurs avertis à se détourner du dollar. Cette fuite devant la monnaie se fait lentement avec l'achat progressif de biens tangibles par les investisseurs qui se débarrassent peu à peu de
leurs obligations dans un contexte de taux maintenus artificiellement bas. La FED instille donc une inflation qui, petit à petit, compense les effets de l'insolvalbilité mais déprécie, à
l'avantage des débiteurs, le cash et la dette encore solvable puisque les taux
d'intérêt réels deviennent négatifs. Cette inflation monétaire ne crée pas de montée des prix à la consommation, du moins officiellement car elle est dimensionnée pour ça. En revanche, elle
augmente la valeur faciale des biens tangibles hors USA selon un mécanisme d'inflation monétaire rampante qui explique parfaitement la hausse des matières premières en monnaie courante. Si les
porteurs d'obligations ne se lassent pas de la manoeuvre et ne se précipitent pas tous ensemble sur les valeurs refuges en fuyant les obligations, cela peut durer encore très longtemps. Or les
porteurs principaux des bonds américains sont les caisses de retraites manifestement au moins aussi accomodantes que les créanciers chinois, japonais et moyen orientaux. C'est sur ce point que l'on peut dire que la crise américaine ressemble un peu à la crise japonaise : les porteurs d'obligations ne se rebiffent pas ... L'hyperinflation
panique me parait donc peu probable car personne ne semble avoir intérêt à ce qu'elle se produise, en tout cas pour l'instant ... QE2 a finalement pour seul effet d'agacer profondément les partenaires commerciaux de l'Amérique sans que les taux longs ne s'élèvent d'un point de base.
Tout au plus observe-t-on une dévaluation compétitive des devises et une montée du protectionnisme. Comme je l'ai déjà dit plusieurs fois, je crois que la véritable
spirale inflationniste susceptible de faire grimper l'or au sommet ne pourra demarrer que par les coûts. Le protectionnisme pourrait en être un des facteur prépondérants. Pour l'instant, le prix des matières premières est encore trop bas pour la générer mais le poison monétaire répandu par la FED conjugué à la montée en puissance des
émergents finira par le faire exploser en poussant l'or au zénith.
Inversement si Bernanke n'arrivait pas à éviter une crise systémique avec crédit crunch aux Etats-Unis, cela signifirait que le système monétaire mondial qui repose sur le dollar serait immédiatement en péril. L'or servirait alors de bouée de sauvetage et ne se dévaloriserait que le temps d'une course au cash pour remonter très vite ensuite. L'amérique et ses citoyens seraient obligés de restructurer la totalité de leurs dettes car la revalorisation du dollar rendrait cette dette irrecouvrable.
Et là n'en déplaise aux partisans de la déflation et de la destruction créatrice, le monde entier en subirait les conséquences. Comme je l'ai expliqué, un pays en déflation monétaire devient tout simplement incapable de payer ses dettes, au public comme au privé. Les biens ou les services objets de la dette se dévalorisent, les salaires, les recettes fiscales et les prix baissent en monnaie courante alors que dans le même temps, les mensualités ou les annuités de remboursement des particuliers, des entreprises, des collectivités territoriales et de l'état restent constantes. C'est un puit sans fond ... Je renvoie les lecteurs de Futures à un billet que j'ai écrit il y a un an : http://futures.over-blog.com/article-la-deflation-n-est-pas-la-solution-38998419.html
La restructuration de toutes les dettes serait inévitable ramenant les USA au rang de l'Argentine en 2002 avec des conséquences beaucoup plus graves sur la croissance, le système financier et les équilibres monétaires mondiaux.
Une piqure de rappel destinée aux monétaristes de la blogosphère, supporter du tea party, pour leur expliquer les ravages de la déflation argentine de 98 me parait nécessaire :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_%C3%A9conomique_argentine
Cela permet de mieux comprendre ce que produirait une déflation monétaire et une restructuration de la dette américaine : une cascade de faillites bancaires sur
toute la planète.