Par Jean Christophe Bataille.
Sortons de l'actualité irlandaise et intéressons-nous aux Etats-unis. Pourquoi les taux longs américains ne montent pas malgré la multiplication des mesures monétaires expansionnistes par la FED ? La baisse historique des rendements obligataires est-elle durable ou cette tendance peut-elle s'inverser brutalement ?
La principale argumentation des déflationnistes a toujours été que si les monnaies étaient émises en excès les taux d'intérêt long terme monteraient et feraient rechuter l'économie.
Dans les faits, les taux longs US ne montent pas pour de nombreuses raisons :
1. Les pays émergents recyclent leurs dollars dans l’achat d’obligations US car c’est le compartiment le plus large d’accès pour les capitaux
2. Pour les émergents, financer la dette US, c’est maintenir leur capacité à exporter en alimentant la croissance des Etats-Unis.
3. Dans cette période d’aversion au risque, les épargnants US préfèrent encore acheter des obligations que les actions qui ont lessivé les portefeuilles pendant la crise de 2008-2009
4. Les banques américaines vendent des obligations américaines à leurs clients car cette distribution est la contrepartie de l’aide que leur a fournie et leur assure la FED.
5. Les caisses de retraites américaines achètent les obligations US car elles n’ont pas vraiment d’autres choix domestiques, entre un compartiment immobilier en pleine déconfiture et un compartiment actions américaines très volatil et au faible potentiel de progression. Seul l'investissement dans les matières premières et les émergents peut diversifier leurs avoirs mais les volumes accessibles en terme de capitalisation ou de dettes de ces compartiments sont pour l’instant encore réduits.
6. Les taux courts sur le dollar permettent d’emprunter à quelques mois de l’argent presque gratuit et de l'utiliser pour acheter des obligations US qui rapportent près de 3 %. Il suffit de rouler les positions court-terme et d’empocher les différentiels de taux. Il est possible de gagner encore plus d'argent en faisant la même chose avec les obligations des pays émergents et en se couvrant contre le risque de change. La trappe à liquidités fonctionne à plein régime !
7. Dès que les maturités longues ne trouvent plus preneur, la FED les achète dans le cadre de son programme d’assouplissement monétaire réduisant l’offre obligataire, permettant ainsi pour le bon déroulement des nouvelles adjudications à taux très bas.
Qu’est-ce qui pourrait faire monter les taux longs US et éventuellement provoquer un krach obligataire ?
1. L’augmentation en volumes des compartiments obligataires et actions des émergents qui siphonnerait les capitaux occidentaux. Le rythme des émissions et des introductions n’est cependant pas suffisamment élevé pour faire concurrence aux marchés occidentaux.
2. Un découplage complet des émergents qui n’auraient plus besoin d’exporter vers l’occident et commerceraient entre eux sans perte de croissance. On n’en est pas là mais le mouvement est en train de s’amorcer …
3. Une diminution de l’aversion au risque mais dans le contexte financier international, elle devrait se prolonger.
4. Aucun changement n’est à attendre du coté de l’alliance FED et système bancaire. Leur complicité est largement établie.
5. Les caisses de retraites vont être obligées de rester dans la même logique.
6. Les taux courts ne sont pas prêts de monter.
7. Combien de temps les marchés supporteront la monétisation des devises occidentales : probablement plus longtemps qu’on ne le croit grâce à 1, 2, 3, 4, 5, 6 …
Les taux d'intérêt vont-ils augmenter significativement à court terme ?
D'après ce que je viens d'énoncer, les taux d’intérêt long terme semblent avoir encore une capacité à rester relativement bas pendant un moment en occident. Nouriel Roubini pense, lui, qu'un krach obligataire est imminent et sera déclenché par le rééchelonnement de la dette d'un grand état américain. Pourquoi pas ! Et dans ce cas, on pourrait assister à une véritable fuite devant la monnaie avec hyper inflation ... Mais le Qantitative Easing n'a-t-il pas pour objectif de monétiser également les dettes des collectivités territoriales américaines ? Ensuite, on l'a bien vu avec la Grèce et l'Irlande, une défaillance de la Californie, par exemple, serait-elle suffisante pour faire exploser les taux longs aux USA ? Si ce n'est pas le cas, la bulle sur les émergents et les matières premières pourrait avoir encore du chemin à parcourir. Et son corollaire, l’inflation importée aurait le temps de croitre et embellir avant que l'on ne jette le dollar aux orties. Cette inflation est en tout cas de plus en plus palpable en France. Quand on analyse les prix depuis 10 ans, on comprend très vite que les indices ne veulent plus rien dire ... Si j'avais un conseil à donner à Ben Bernanke pour faire démarrer une spirale inflationniste, je lui dirais de revenir au calcul des IPC de 1980, les salariés se rendraient vite compte que leur pouvoir d'achat est en train de fondre en termes réels. Si cette spirale se déclenchait, nul doute que les taux longs finiraient par monter mais le différentiel de taux avec l'inflation pourrait rester faible pour les raisons citées précédemment.
Sur l’échiquier international, comment peuvent répondre les pays émergents et les pays producteurs de matières premières à l'inflation générée chez eux par l'excès de création monétaire occidentale ?
1. Une hausse des taux courts.
2. Un renforcement des ratios de solvabilité bancaire et une limitation de l’octroi de crédit.
3. Une augmentation progressive des salaires et du système social pour développer le marché intérieur et les capitalisations boursières locales.
4. Une hausse de leur monnaie.
5. Un contrôle des changes.
6. Une taxation des capitaux étrangers.
Que se passerait-il en occident selon les réactions monétaires des émergents ?
1 et 2. La hausse des taux courts et le contrôle du crédit qui est déjà dans les tuyaux dans un certain nombre de pays ( Australie, Chine, Inde) pourraient occasionner soit :
- Une baisse de la croissance des émergents. Mais si la désinflation est bien conduite dans les BRICS, la croissance économique devrait rester largement suffisante pour tirer l'économie mondiale, être plutôt vertueuse et devenir plus autocentrée. En revanche, cela n’empêcherait pas les prix à l’importation dans nos pays de grimper. La raison est simple : pour que les prix des matières premières et les salaires n'augmentent plus, il faut que le taux de croissance mondiale soit inférieur à 3 %. Or on sait que le dynamisme des pays émergents ne peut laisser durablement la croissance mondiale sous ce niveau.
- Un effet dépressif pour toutes les économies si la désinflation est mal pilotée dans les BRICS. Le monde occidental pourrait plonger dans la déflation mais, on l'a bien vu en 2008-2009, le dynamisme des émergents n'est que peu altéré par les problèmes occidentaux. Même en période de crise, la consommation de base des USA et de l'Europe leur suffit à assurer le fond de leur croissance et le dynamisme de leur consommation intérieure fait le reste. La croissance chinoise est actuellement beaucoup plus proche des 10 % que de zéro ... Ce n'est donc pas l'hypothèse la plus plausible et dans tous les cas, les émergents préfèreront largement supporter un peu d'inflation que stopper la croissance mondiale.
3 et 4. Ces évolutions qui paraissent inévitables en Chine ou ailleurs exporteront de l'inflation vers nos pays.
5 et 6. Ces mesures déjà prises au Brésil et envisagées par plusieurs autres pays maintiendraient les liquidités émises en occident alimentant la hausse des prix chez nous par inflation monétaire directe.