Par Jean Christophe Bataille.

Nous avons vu dans le premier article que l'occident avait de fortes chances de voir ses monnaies se dévaloriser. Autrement dit nos pays devraient souffrir de
l'inflation. Cette inflation pourrait naître plus ou moins tardivement de quatre mécanismes bien différents :
A. Une inflation importée liée, entre autres facteurs, à une montée excessive du prix des matières premières en dollars.
B. Une fuite devant le dollar ou hyperinflation après un krach obligataire aux USA.
C. Une fuite devant l'euro ou hyperinflation après un krach obligataire européen qui se généraliserait au monde occidental.
D. L'inflation ne se déclencherait pas rapidement selon A B ou C car la montée des matières premières et la hausse des taux créerait une récession avec double dip
mondial avant d'avoir pu relancer les prix. On observerait un cycle déflation-slumpflation.
Les interrogations à 5 ans
L'analyse de la situation reste grevée d'incertitude. La prévision économique restant un art difficile, il est fondamental de compléter la réflexion sous forme
d'interrogations :
1. Une inflation importée est-il imaginable dans un contexte où les prix à la consommation montent très peu selon les indices officiels ? Est-elle possible dans un pays comme les USA qui se désendette et est plutôt en proie à des pressions déflationnistes ?
Tout d'abord, il est toujours difficile d'imaginer qu'une situation va changer quand on est habitué à celle-ci depuis trente ans. L'inflation n'est pas dans les
esprits, elle parait donc impossible. Je rappelle que quand l'or a commencé à grimper en 2000, on le qualifiait de relique barbare qui ne rapportait aucun rendement. Sa détention avait fait
perdre de l'argent pendant 20 ans de désinflation et il n'avait plus aucun intérêt. Personne n'aurait pensé à l'époque qu'il serait aujourd'hui cinq fois plus cher. Je rappelle également que
personne n'imaginait en 1930, alors que les prix chutaient fortement, que l'inflation se développerait en 1936 et que la guerre éclaterait en 1940. Il faut donc se méfier de ne pas sous estimer
le potentiel évolutif rapide des situations économiques et politiques.
Je répondrai ensuite que d'une façon globale, le monde est plus inflationniste que ne le
révèlent les indices. Comme à chaque fois, je renvoie vers cet article que j'ai écrit l'an dernier : Le monde est inflationniste qui montre que le monde est en inflation depuis que l'or ne joue plus son rôle de monnaie de réserve.
Nous sommes actuellement dans une période de simple ralentissement de l'inflation liée au deleveraging immobilier. Cette baisse de l'inflation ne saurait durer très
longtemps pour toutes les raisons déjà évoquées :
- Les émergents vont entrer dans la phase 2 du cycle de Kondratieff, normalement inflationniste.
- Les émergents ont véritablement découplé comme je l'affirmais en 2008 en d'autres lieux et le confirmais sur ce blog
en 2009, dans un article sur le découplage des
émergents.
- Nous produisons plus de monnaies que de richesses, et dans un monde globalisé, cet argent va s'investir chez les émergents et les producteurs de matières
premières alimentant un peu plus leur tendance inflationniste naturelle.
- Nous sommes, à l'exception de l'Allemagne et du Japon, des pays importateurs de biens et souvent de services. Nos balances commerciales sont très déséquilibrées.
Nous sommes donc condamnés à importer de l'inflation par les produits et les services importés si celle-ci se développe chez les émergents.
- La dette que nous avons accumulées est récessive et nous oblige à maintenir grand ouvert le robinet des liquidités qui va alimenter le carry trade sur le
dollar.
- Nous créons même, artificiellement et par des mesures non conventionnelles, de la monnaie qui s'investit ailleurs par le même mécanisme.
- Pour lutter contre l'inflation, les émergents vont monter leurs taux courts, ce qui rendra leurs monnaies encore plus attractives car mieux rémunérées, ce qui
asséchera à nouveau les liquidités occidentales, obligeant à une nouvelle création de monnaie.
- En luttant contre l'inflation, les émergents tendent vers une croissance vertueuse qui garantit un développement solide de leur économie et de leurs entreprise.
Ces perspectives de développement iront, elles aussi, dans le sens d'une fuite des capitaux occidentaux vers les émergents, ce qui asséchera encore plus les liquidités occidentales obligeant à
une création de monnaie supplémentaire.
- La surchauffe des émergents avec une croissance proche de 10 % ne peut qu'inflater le prix des matières premières et des salaires.
- Les émergents seront réticents à resserer totalement l'étau monétaire tant que leur marché intérieur ne sera pas complètement développé, sinon ils réduiraient la
croissance de façon excessive chez eux et feraient plonger les économies matures, ce qui risquerait de détruire leur propre potentiel à l'export.
- Le reste de l'histoire est connue, nous ne tiendrons pas longtemps avec une explosion des prix à l'import sans dévaloriser nos monnaies et ni monter nos salaires
en monnaie courante. La situation sera intenable et les entreprises exportatrices occidentales seront encouragées à cette hausse car la baisse de nos devises leur permettrait de faire monter les
salaires en monnaie courante sans nuire à leur compétitivité. Ce dernier point est important car il répond aux gens qui pensent que les salaires ne peuvent pas monter quand il y a un chômage
important. En fait, les salaires ne monteront pas en monnaie constante, ils pourraient même baisser tout en apaisant les revendications syndicales si l'inflation augmentait rapidement ... En revanche, cette dévaluation monétaire sera
néfaste sur le prix des matières premières importées puisqu'elle fera perdre en compétitivité sur les coûts matières. Les allemands adeptes de la désinflation compétitive l'ont bien compris, mais
leur politique ne fonctionne que si les acteurs économiques publics et privés ne sont pas trop endettés et restent solvables. Si ce n'est pas le cas, l'inflation est le seul recours honorable
pour accélérer le désendettement et rétablir l'équilibre bilanciel. Créer de la monnaie est souvent plus facile pour les hommes politiques que d'affronter la rue. Les syndicats ont d'ailleurs
commencé à organiser la contestation en Grèce, en Irlande et au Portugal. Les thèmes populistes jetant l'anathème sur les banques, exutoires de politiques monétaires et fiscales inadaptées vont
fleurir. Si l'euro n'existait pas et si l'Allemagne ne tenait pas les rennes de l'Europe grâce son importante capacité d'autofinancement de puissance exportatrice, certaines monnaies
nationales auraient déjà perdu la moitié de leur valeur, les prix et les salaires auraient flambé. Je m'inscris donc en faux contre certains analystes lorsqu'ils disent que les salaires ne
peuvent pas grimper lorsqu'il y a surcapacité de production. Non seulement les surcapacités sont en train de se résorber très vite sur la planète avec la montée en puissance de la consommation
intérieure des émergents mais cette affirmation ne vaut qu'à monnaie constante et ne peut s'appliquer qu'à un système économique occidental solvable et à une inflation par la demande. Ce n'est
pas le cas ... En revanche, cette évolution suppose que les monnaies conservent leur crédibilité, ce qui nous amène à la deuxième question :
2. Une hyperinflation est-elle possible à brève échéance ?
Ce n'est pas mon scénario central mais elle est possible. Les obligations indexées sur l'inflation sont toutefois en train de consolider dans la crise irlandaise.
Ce qui ne va pas pour l'instant dans le sens d'une hyperinflation mais d'un simple ajustement actuariel à la hausse des taux longs. Probablement une nouvelle occasion d'achat pour ce compartiment
obligataire si cette baisse se poursuivait ... Quant à la dette de l'Amérique, le Quantitative Easing 2 a été entériné par les marchés comme une évolution nécessaire. Ceux-ci attendront donc
probablement au moins une production supplémentaire de monnaie avant de condamner le dollar. Mon impression est que le système actuel risque de tenir encore et que l'inflation pourrait parvenir à
se propager par les coûts avant que les monnaies n'aient eu le temps de s'effondrer. Cela n'empêchera pas nécessairement un krach obligataire, mais l'inflation serait dans ce cas plus
mesurée.
3. Dans quel délai surgira l'inflation en occident ?
C'est une grande question qui en implique une autre :
4. Jusqu'ou peuvent monter les matières premières sans créer de contre-choc récessif ?
La réponse est comme toujours dans la qualité du découplage des émergents et leur capacité à assurer seuls la pérennité de la croissance mondiale. On a vu en 2008
que ce découplage était déjà très important.
5. L'inflation va elle atteindre l'Europe comme les USA ? Si on peut imaginer que les USA vont utiliser largement la printing press, qu'en sera-t-il
des européens ?
Si Axel Weber prend les rennes de la BCE, il est possible que l'austérité gagne l'Europe dans un environnement plut^pt stable sur le plan monétaire avec un épisode
récessif et une baisse importante du pouvoir d'achat apparent pendant plusieurs années, occasionnant de nouveaux conflits sociaux difficiles à soutenir. Le maintien de la zone euro en l'état va
dépendre de l'attachement et de la générosité des pays européens solvables envers l'union européenne et sa monnaie. Je fais le pari que ces pays, en particulier l'Allemagne, ne lâcheront pas les
pays en difficultés car ils auraient beaucoup plus à perdre qu'à gagner dans la destruction de la zone euro.
6. Sans l'Allemagne et ses satellites du nord, l'Irlande et le Portugal seraient déjà condamnés à dévaloriser leur monnaies pour venir à bout de leur dette,
leur capacité d'autofinancement étant des plus altérées. Une sortie de l'euro de ces pays avec retour à leur ancienne monnaie très dévaluée et une restructuration de leur dette souveraine
est-elle encore possible ? Que se passerait-il en cas d'aggravation de la situation de pays beaucoup plus importants comme l'Espagne, l'Italie ou même la France ?
Il n'est pour moi pas totalement impensable que la zone euro change de visage et perde quelques uns de ses membres les plus en difficulté pour essayer de conserver
un noyau dur plus solvable en Europe comprenant la France, en conservant la monnaie unique. Cette sortie de la zone euro de certains pays européens très endettés pourrait renforcer
significativement l'Europe résiduelle et la monnaie unique. Ce n'est cependant pas l'hypothèse que je privilégie, en sachant que diktat de l'Allemagne sur les budgets nationaux en contrepartie de
son aide va s'exprimer avec beaucoup plus de force qu'à Maastricht ...
7. L'Amérique est-elle véritablement insolvable comme l'affirment certains ? Ou les USA sont-ils en meilleure posture
que les pays comme l'Espagne, l'Italie ou même la France ?
Pour répondre à ces dernières questions, voici un tableau essentiel à mes yeux :
Pays
|
Dette/PIB
|
Recette/PIB
|
Dette/Recette
|
France
|
77,6
|
48,0
|
161,7
|
Allemagne
|
73,2
|
44,3
|
165,3
|
Grèce
|
115,1
|
36,9
|
312,2
|
Irlande
|
64,0
|
34,1
|
248,4
|
Italie
|
115,8
|
46,6
|
187,5
|
Portugal
|
76,8
|
41,6
|
184,8
|
Espagne
|
53,2
|
34,7
|
153,2
|
Royaume-Uni
|
68,1
|
40,2
|
169,2
|
Etats-Unis (Gouvernement fédéral)
|
53,0
|
14,8
|
358,1
|
Source : Eurostat, CBO, Morgan Stanley Research
Notons que ces chiffres datent de 2009 avant le Quantitative Easing 2. Sans faire
cocorico, je me permets de dire que la France est en meilleure situation que les USA, bien que l'agence Dadong, fer de lance de la contestation financière chinoise, les ait classés toutes les
deux dans la même catégorie. La France, si elle est très endettée, possède une bien meilleure capacité à financer sa dette, par un ratio dettes / recettes deux fois supérieur. Notons que
l'Espagne, l'Italie et le Portugal ont également un ratio beaucoup plus favorable que celui des USA. On constate en revanche que l'Irlande et la Grèce sont mal en point, mais qu'elles font tout
de même un peu mieux que les Etats-Unis ... On remarque bien là toute l'hypocrisie des agences de notation américaines ... Bien sûr, chaque pays a ses spécificités. La France par exemple a un
système social pléthorique qui creuse chaque année son déficit. De plus, les prestations de ce système augmenteraient avec l'inflation rendant impossible sa dilution dans l'expansion monétaire.
Nul doute que dans ce cas, l'état providence serait amené à diminuer sa générosité. En contrepartie la situation bilancielle de la France est bonne. L'épargne des français est bien supérieure à
la dette souveraine du pays. Ce qui n'est pas le cas des pays anglo-saxons.
8. A quel point les USA sont-ils surendettés ?
La dette affichée dans le tableau ne tient pas compte de l'endettement des collectivités territoriales qui sont pour certaines au bord de l'asphyxie. Si on tient
compte de ce facteur, et sans avoir d'élément sur la fiscalité des états fédérés et des municipalités américaines, le ratio dettes sur recettes ne peut que s'aggraver. Pour contrer une évolution
négative de leur situation d'endettement public, les américains doivent donc augmenter considérablement leurs impôts. Si on tient compte du tableau, ils doivent les doubler, avec toutes les
implications récessives que cela suppose ! Je pense toutefois qu'ils ne le feront pas tant que leur endettement sera adossé à cette formidable machine à générer du cash qu'est la Chine.
Mais la Chine finira par se lasser de fabriquer des produits pour les Etats-Unis en échange de dettes qui seraient amenées à perdre de la valeur. Les américains ont
tout intérêt à faire de l'inflation rapidement, avant que l'indépendance de la Chine soit totale.
9. L'Amérique peut elle un jour faire défaut sur sa dette ?
Ce n'est pas exclu si le découplage total avec la Chine progresse encore mais ce serait un aveu de faiblesse catastrophique qui ôterait tout leadership aux USA dans
le monde et créerait une hyperinflation sur le dollar. C'est pourquoi, je persiste à penser que les USA feront tout, avant cette échéance, pour dévaluer leur monnaie et créer une stagflation car
c'est la seule issue honorable pour eux.
10. Quand le yuan va-t-il rejoindre le système monétaire mondial de change flottant ?
Encore une incertitude de taille ! Mais le yuan va irrémédiablement s'apprécier face au dollar et il le fera dans des proportions importantes.
11. Un contre-choc récessif va-t-il faire baisser suffisamment les matières premières pour donner aux épargnants européens, après emballement des prix, une
véritable opportunité d'achat sur ces ressources ?
Cela dépendra de la stabilité de l'euro, du mode de survenue de l'inflation. Il y a donc beaucoup d'incertitude ...
Les interrogations à plus long terme.
10. Quand l'évolution stagflationiste, si elle se produit, va-t-elle être contrée en occident par une hausse des taux courts et évoluer vers une nouvelle
désinflation ?
Probablement pas tant que l'endettement occidental global, public et privé, ne sera pas arrivé à un niveau acceptable, c'est à dire dans plus de 10 ans. A moins que
de grands pays, en dehors des PIGs, comme les USA, décident de faire défaut sur leur dettes. Ce n'est pas du tout mon scénario central. Dans tous les cas, l'or a de beaux jours devant lui en
dollars ...
11. Quelle évolution économique à plus long terme ?
La poursuite de la mondialisation pourrait faire monter progressivement les salaires émergents à un niveau les rendant insuffisamment compétitifs, permettant le
retour de certaines industries à moindre valeur ajoutée dans nos pays. Autant dire que dans ce cas, l'inflation aura fait rage en occident par l'association de la hausse des couts salariaux et de
celle des coûts matières. Les coûts matières devraient en tout cas s'équilibrer avec les coûts salariaux mondiaux et installer une meilleure répartition géographique des richesses. Mais la rareté
programmée de certaines matières premières et de l'énergie devrait engendrer un combat sans merci pour leur approvisionnement.
A venir : Où va l'économie mondiale à moyen-long terme ? - N°3